Nous n'en finirons pas de sitôt avec le vrai complot diabolique dans le monde du XXe siècle dont tous les autres complots dépendent qui a installé le chiffre dans la position de trône du globe où les hommes ont progressivement assis toute la vérité, c'est-à-dire le mensonge le plus pur, le plus atroce aussi. Calculs, statistiques et mesures, tout y concourt, le monde est prosterné au pied d'un chiffre, formant vœu de s'y confondre, prenant parti de s'aligner dans une suite de nombres. La guerre et la paix, la faim et la sexualité, le silence et la foule ne sont plus affaires de mots et de volonté, de regards et d'écoutes, que surdéterminés par des forêts de chiffres qui viennent en procession à l'oreille du souverain lui dire un jour que la guerre est bonne, le lendemain que l'Afrique doit mourir. Mais c'est à chacun aussi, en secret, que le chiffre vient imposer sa loi et donner ses ordres, issus du grand chiffre de l'univers auquel l'univers a décidé de ressembler jusqu'à n'être qu'un chiffre qui prend chaque jour davantage puissance de dissoudre ou éliminer ce qu'il n'est pas. Que celui-là à côté de moi soit marginal, l'hôpital psychiatrique saura lui donner sa mesure, les œuvres sa ration, la mort son mètre carré. Dans cet édifice du chiffre qui écrase le monde en livrant les humains à la souffrance et à la mort, il y a une date sacrée, celle des martyrs dont le corps a été le lieu d'expérimentation de l'inscription d'une comptabilité forcenée. À cet instant, c'est vers eux qui n'ont plus de nom que je me tourne, eux, morts dans un chiffre, après avoir souffert dans un chiffre, à la limite de cette souffrance qui n'a d'issue que dans la mort qui elle-même était un chiffre, un chiffre monstrueux.