Mesdames et Messieurs, quel autre langage pourrais-je vous parler que celui de l’aggravation de la catastrophe qui est, strictement, révolte.

Je suis la fin et le commencement.

Où sont les actes de liberté ? La solitude qui se manifeste dans la rencontre ? Les battements de paupière ? La pente naturelle par où disparaissent les écrasements ?

Je ne vous épargnerai rien des bêtises, des lâchetés, des traîtrises parce que cela doit être dit, écrit, scandé avant que ça ne disparaisse dans les bégaiements, les hystéries et autres bruitismes somnambuliques.

Bégayer, seulement bégayer, dans l’hébétude générale et la dépossession meurtrière. Le seul langage, le seul langage que j’ai connu lors de ces années d’abattage des corps. 1980. 1990. 2000. Le consensus et l’idiotie brûlent les corps. Le trop de moyens donnés à la folie, à la mort, au ravage. Moi, je ! Moi, je ! Moi, je ! La dépossession ! La dépossession sans fureur et sans désir ! Le ricanement remplace en diable la pensée, la raison reprend sa place au cœur et je vomis l’humain qui me cerne par tous les trous de mon corps. Je suis amer et joyeux à la fois. Je dois en passer par les mille épaisses ténèbres d’une parole meurtrière, la voie droite égarée dans les ténèbres, et une volonté de fer pour enfin dire ce qui me traverse, rassembler ce qui est dispersé, sortir du mutisme, de l’aphasie, du « à quoi bon » et toutes ces horreurs qu’on m’oblige à penser, avaler, ingurgiter. L’anonymat est ma force. La poésie mon expérience. Ce qui me terrifie, c’est que le il arrive que n’arrive pas, cesse d’arriver et c’est peu ou proue ce que je vis. La vérification permanente qu’il ne se passera plus rien. Ou alors du petit, du tout petit.

Je suis le livre de cette époque basse température et je compte faire exploser, dynamiter, terroriser vos ordres justes et ce qu’à d’insupportable la main-mise sur mon cerveau. Je ne me tairai pas. Le ciel est trop bleu, la lune trop brillante, la vie trop grande pour laisser s’enlaidir dans une torpeur sans fin les mots et les actes. Je suis le livre, celui par lequel les vérités passeront et caresseront les phrases parce que nulle part, je ne vois ce qui doit être dit. Et ce ne sont pas les garde-à-vue, les humiliations, les manières de flics qui arrêteront mes mots. Je les ai contenus longtemps. Je veux maintenant qu’ils se déversent comme un fleuve sacré, une eau verte et bleue charriant aussi bien le négatif que l’envers de l’histoire contemporaine. De l’écume à la boue tout doit être dit, rien ne doit être épargné ni personne.

J’écris dans un état de manque permanent, mon souffle est grand. Ce manque c’est ma volonté qui l’aiguise : ma façon de me dés-automatiser, de ne pas me laisser aller, de mettre un pied hors du rang des assassins, des assassinés.

Manquer sans entrave est le slogan d’une époque qui cherche, assise sur ses ruines, les raisons qu’elle a de perdurer. Je tiens bon, seul, et j’aurai raison parce qu’il le faut. Du souffle il en faut pour ne jamais s’arrêter et proférer, la tête haute, le regard portant loin, les vérités que pratiquement tous cherchent à cacher. La vie libre, l’ouvert, le pas de danse accompagnent le négatif parce qu’enfer et paradis ont lieu en même temps. Pas un but mais un immédiat. Et le langage des dieux qui m’apparaît sous forme de signes. L’expérience de la poésie est expérience de l’émoi, du néant, de l’absence de moyens. Plus intense que l’art, que la politique, que la communauté : elle est la crête de tout cela : une musique qui n’a besoin d’autre instrument que le langage : langage tendu vers le ciel immense, langage embrassant l’univers, en absolu, prenant toutes les directions à la fois, prenant le risque de penser, de percevoir, de dire toute la joie et l’horreur du monde et d’une époque en particulier : la mienne.