La question politique allemande qui n'a cessé, depuis la Révolution française et Napoléon, de grever la politique européenne, est la question de l'identité nationale ou pour le dire en termes spéculatifs, de la constitution d'un peuple-sujet. Il y va de l'apparition du génie d'un peuple. Elle implique à ce titre une stratégie spécifique qui n'est rien d'autre que la stratégie du Kulturkampf, si l'on entend par là la lutte menée contre la "civilisation" européenne, c'est-à-dire la culture néo-classique, en vue d'une appropriation plus originelle du modèle grec et de l'institution, selon la plus pure des logiques agonistiques, d'un (grand) art allemand, rêvé comme seul capable, à l'instar de l'épopée homérique ou de la tragédie athénienne, de définir l'être allemand. De Lessing à Winckelmann à Nietzsche - et même bien au-delà : jusqu'au Heidegger des années 30 et à toute l'époque du national-socialisme - c'est là une hantise de la "politique esthétique" allemande. Qu'on pense à ce mot d'ordre de Nietzsche, lorsqu'il prépare son Zarathoustra : "Construire le mythe de l'avenir." Tout y est compris, quelle que soit d'autre part, eu égard à la politique allemande, la probité de Nietzsche.
Le projet wagnerien - ce sera bientôt Bayreuth - est indissociable de cette politique. Baudelaire ne le devine probablement pas (alors que Mallarmé, passé 70, en sera très conscient). C'est tout de même à cela qu'il se voit contraint de réagir.
In Philippe Lacoue-Labarthe : Musica ficta.