Le dict des mors et des vifz

Ma génération et celles qui suivent ne connaissent pas la guerre, cette confrontation continuelle avec la mort. La guerre déplacée, celle d'Algérie, nous fut même totalement épargnée, car nous étions trop jeunes pour seulement la concevoir. A mon sens, si l'on sait de quoi on parle en évoquant la création artistique, le résultat ne s'est pas fait attendre, pour imprévu qu'il puisse paraître aux yeux de certains, l'émergence d'un artiste supérieur devenait impossible et celle d'un simple artiste improbable. Restent les plasticiens, les écrivains, les musiciens, etc., c'est à dire du rase-motte sensoriel. Si j'avais à ouvrir une école d'art demain matin, je proclamerais la dissection discipline obligatoire tout au long de la 1ère année. Ecrivains, plasticiens, musiciens, les mains dans les morts, une bonne année suffirait, jusqu'à la reconnaissance parfaite des textures si singulières du cerveau, des poumons, de la rate et de la vessie, jusqu'à la connaissance de l'harmonie des tissus du corps et surtout celle de la forme et de la fonction du corps jusqu'à ce que la mort s'épanouisse en un autre état permanent de la vie des prétendants qui seraient demeurés prétentieux sans ce régime. La chance alors, aurait toutes ses chances de voir peu à peu se construire un artiste digne de ce nom. Car la chance de rencontrer personnellement l'action de la mort devenue si infime depuis tant de décennies, je ne vois plus d'autre issue que la création d'une bonne école de la mort si l'on s'inquiétait vraiment de l'absence qui s'étend d'artistes en France. Très facheux sans doute le fait que la connaissance théorique de la mort demeure parfaitement inopérante dans cette vie, il faut y avoir été, être parvenu à en revenir, au vrai.

Le problème est de tenir au plus près du vrai conflit, le seul qui compte, la vie et la mort, pour le reste tout le monde s'en charge, la désinfection générale suit son cours. Mais sur le tissu lisse des rapports numériques a-t-on vraiment besoin de tels qui se disent artistes pour un dernier toilettage de la représentation du monde, déjà si livide?


Bernard Lamarche-Vadel.