Ce matin, je vais ressourcer mon esprit au jardin du Luxembourg. Une envie d’enchantement. Ciel bleu pâle des tableaux impressionnistes, impression soleil levant, douceur de mon recueillement et le printemps qui se prépare à exploser dans toutes les nuances de verts ; émeraude, pomme, opéra, céladon, amande, Véronèse, malachite, minéral, olivâtre… Et pourtant la nature est très belle disait Cezanne sur le motif, tandis que mes yeux hébétés cherchent le moindre détail célébrant la vie ; les fontaines abondent en cette matinée d’hiver, Psyché blanche et tendre dans les bras de son amant, Baudelaire se promène avec son chic extralucide, des oiseaux ont trouvé là un mince refuge, et les arbres contemplent le tableau merveilleux d’un Paris debout narguant le sénat, hospice public d’une République parkinsonienne. Plus tard, j’irai voir les dessins érotiques de Rodin pour parfaire cette magnifique journée d’hiver bleue et blanche nappée de rosée. Solitude extatique, la France rayonnante d’amour, promenade légère bercé par un vent doux qui rafraîchit les rayons obliques du soleil et ces cuisses innombrables ouvertes sur l’infini : Femme nue sur le dos, de face, et les jambes écartées ; Main sur un sexe ; Deux femmes nues allongées et tête-bêche ; Femme nue, assise de profil, une main passée sous une cuisse levée ; Couple saphique allongé près d’une roue de la Fortune ; Femme nue sur le ventre, coudes et genoux au sol de trois quarts vers la droite ; Femme assise de face, relevant un vêtement sur le ventre ; Femme nue à quatre pattes ; Femme nue penchée sur une femme agenouillée vue de dos…Magie des titres et des poses, fascination pour ces dessins à main levée qui suscitent décidément le scandale en ces temps pornographiques ; corps déhanchés qui dépassent L’origine du monde tranquillement, d’une coudée ; femmes anonymes se donnant à la lumière, pastels couleur chair, vert tendre et des trouées rouge sang qui indiquent fiévreusement la voie de l’absolu. Et l’absolu, bien entendu nous en manquons cruellement. Préciosité médiévale des statues des reines et princesses de France, blanches comme la porcelaine, semblant attendre nonchalamment le déluge et puis passage obligé, après l’érotisme sauvage jamais dépassé de Rodin, devant la porte de l’enfer et ce monde mort-vivant qui semble sortir du bronze pour envahir le monde de sa folie épaisse ; principe de mort guettant le moindre de nos pas, prêt à traverser les corps pour les happer dans son giron, suppôt à la puissance intacte qui prend le pouvoir lors des périodes froides où plus personne ne danse, où la joie est dédaignée, où nous n’éclatons plus de rire, où l’angoisse prend le contrôle des passions et soudoie nos âmes liberticides. Heureusement la nature ouvre nos cœurs aux imperfections du réel et à notre propre existence, goûtée à son juste rythme dans une simplicité désarmante. Nous ne savons plus apprécier la simplicité, la clarté, la logique, les couleurs ; nous sommes dégoûtés du Paradis. Nous en crevons.