Ce qui vient ne sera pas facile, c’est l’évidence. Nous sommes dans un temps de léthargie, d’errance et de désarroi mondialisé. La seule chose qui paraisse vraie est de constater à quel point les choses semblent hors de contrôle. On se réfugie dans le désespoir, on en redemande.
Les droits de l'homme portent plainte contre l'existence. Les murs s'élèvent. La France est en guerre. Il n’y a plus de lendemains, d’au-delà qui chantent.
Et jamais pourtant, nous n’avons eu autant l’impression d’être proche de la naissance d’un mouvement, d’une origine. Quelques-uns, très peu, de moins en moins nombreux. Cela pourrait se renverser très vite, violemment.
Le saut hors des apparences et de leurs lois qui prennent le visage indéfini de la profondeur, rien ne peut commencer sans lui. L’exploration commence par ce choc, sur un sol neuf, immédiat.
Je ne veux pas m’évanouir dans cette haine blanche savamment inoculée que la société fabrique. Déjà vu, puissance de l’impuissance, embuscade du pire, immobile flottaison de l’existence qui, devenant quelconque, se divertit et s’endort. Monde filmé distribuant les rôles et prévoyant déjà le changement des rôles. Et les corps morts se multiplient, transitent, fondent des pouvoirs, règlent les échanges. L’ordre n’est plus extérieur, identifié, stable. Il est introjecté, se confond avec le sentiment de la vie et de reflet en reflet, on ne sait plus vraiment d’où viennent ces images qui assument à chaque instant la destruction. La tension est ramenée à son plus bas niveau et je meurs d’ennui dans ce décor artificiel. Oui mais quoi ? Je ne veux pas crever obscurément. L’avenir appartient aux hommes déclassés. Le foudroiement par la vie, la non-garantie absolue, c’est cela ma solitude. Seule une vie fermentant sans entraves s’engage dans mille formes nouvelles, improvise, corrige elle-même ses faux-pas. Et même pulvérisée par la médiocrité et la complaisance, dans Paris toujours demeure, le squelette des mots comme celui qu’il est défendu d’écrire : le mot Révolution. Partir de là. Les limites qu’on fixe à l’existence ne sont pas si absolu que ça.
J’avance par flambées successives. Je brûle les écrans. Je cherche à fixer ce théâtre d’ombres qui va trop vite pour le tenir à distance. Je l’examine sous toutes ses coutures dans l’espoir de rendre vivant ce que j’ai vu trop vite. Peu à peu, avec des avancées, des reculs, j’apprends à mieux cerner l’espace compris entre l’arc et la cible, à être à la bonne distance de ce que je vise. J’avance les preuves concrètes de mon enthousiasme. Au moins jamais je ne me serai épargné, jamais quelque chose ne sera passé à ma portée sans me passionner, me questionner, sans laisser de traces dans mon corps, mes pensées. Plus fort que le chagrin, la nécessité de vivre, et même de proclamer le triomphe de la vie, le sentiment océanique de la vie qui fait rage, s’élance, implacable. Cette force vient de quelque part : d’un rapport à la solitude. S’exiler. Apprendre à être seul.
Je cherche un lieu qui fasse rempart au psychisme, une sorte de clandestinité à inventer à base d’allers-retours vers le front.
Plus il y a de chances de perdre, plus l’envie de gagner grandit. Je sais qu’il existe des situations où le corps peut momentanément s’abstraire du désert de la représentation et retrouver, à l’écart, traçant sa propre voie, une présence intacte et miraculeuse. Et c’est précisément dans cette possibilité toujours offerte d’inventer de nouveaux rapports, en reliant des êtres, des idées, des actes séparés entre eux, que la vie, la vraie, possède son libre cours. Je désire, je veux contempler, apprécier, favoriser, jouir de l’attention que la beauté du monde exprime à mon égard lorsque je m’ouvre tout entier vers elle. Tout est là, dans le déchiffrement des signes clairs qu’elle m’envoie et qui, à mon contact, dans un mince écart, se transmuent en enchantement.
Est-ce possible de se faire du bien ? Est-ce devenu un vœu pieu ? Je suis en train de choisir la réponse contre mon époque…
C’est la présence réelle que je dois trouver. Cette origine muette ou je rejoins mon corps, ces instants où je me retrouve sur le motif avec moi-même, mais aussi cette présence fragile et précieuse de ceux qui se tiennent encore debout et ne sont pas soumis au programme de virtualisation. Qu’arrive t-il à un homme sur le point de tomber, saisi de vertige ? Il regarde au plus près, il ferme le verrou de l’intérieur, il s’intensifie. Et c’est ce « au plus près » qui compte, lorsque les sensations glissent en moi leurs paysages.
Chaque jour, je jouis du temps où je vis car c’est le temps où tout s’évanouit, où tout est à jouer, à rejouer ; le temps qui m’initie à ne plus prendre possession des ruines, à m’écarter aristocratiquement de l’aveuglement général.
Voilà ce que je veux, aujourd’hui, en 2008, par-dessus le reste, après la terreur qui ne finira pas, une trêve, oui je dis bien une trêve, qui, sortie toute désarmée de ma chair, de mes pensées, serait la promesse enfin tenue d’une vie nouvelle…
Pour cela, je maintiens la distance qui met en réserve l’angle libre de la vue pour me donner les moyens, au présent et au futur – car ceci est une construction dans la durée – d’une illumination possible, unique source de liberté en ce bas monde, à l’heure où c’est la mort qui a gagné la partie. J’aime cette vie malgré les excès, les dérives et les matins d’inquiétude. Je reste indemne sans me payer d’illusions. Je fais mes choix sans penser aux lendemains, avec un goût sûr, en ne me laissant pas mener par l’angoisse, la peur, la dépression. Quand je ne trouve pas mon compte dans un monde, je le trouve dans un autre : je ne veux plus perdre mon temps avec la complaisance, l’impuissance, l’hésitation.
On m’accuse d’irréalité quand il me semble que je poursuis paisiblement mon bonhomme de chemin ; on me crie de revenir sur terre, mais ceux qui le crient flottent littéralement dans les airs, simplement ils s’accrochent d’une main à un bureau, à un travail, à une opinion. Je marche tranquillement dans les villes, je traverse les jours avec le calme d’une horloge florale, et on craint le pire pour moi, c’est à dire qu’on me menace du pire.
Il est nécessaire que je tienne sur une visée, une forme, un lieu. L’Histoire doit resurgir sur la scène et étonner le monde entier en faisant charnière dans le temps et en annonçant la bonne nouvelle : le présent, la joie sont décidément des idées neuves dans le monde qui vient.
Quel autre langage pourrais-je vous parler ?
Je ne fais pas semblant. Je n’ai pas à acheter ma jouissance tous les jours à crédit ou bien à vivre sans idées, sans sensations, à écouter le bruit de fond pornographique de ce que d’aucuns nomment réalité. Non, c’est plus fort que moi : tout peut encore arriver. A chaque instant, si je le décide, je peux me réveiller de cette folie, de toutes ces mauvaises veilles et repasser au présent, maintenant. Trouver mon point de jouissance, revenir à la précision, à la définition des mots, au dictionnaire, seule manière de ne pas être étouffé par le langage de la terreur. C’est un effort de tous les jours, un combat, le seul combat au fond.
Ebranler les structures rouillées, Opposer ma traversée à l’envers du temps falsifié. Bouffées d’air frais, vertiges, ouverture à double tour. A chaque séquence de ma vie, trouver le bon rôle, légèrement en retrait, hors des ténèbres et puis recommencer, c’est à dire redistribuer les cartes à chaque monde traversé, à rebours des lieux du crime, de la pulsion sociale, du trucage des corps.
Cette soirée me pousse à agir, à imposer ma volonté. Je suis surpris d’être heureux en ce début du XXIème siècle.
Mes goûts, mes buts, irréductibles aux opinions des masses me séparent de la plupart de mes contemporains ; je suis au service d’une action autrement plus sérieuse que les affaires communes, j’ai les goûts d’une communauté encore inconnue dont les membres, sans forcément se le dire, se reconnaissent. Il nous suffit aujourd’hui d’être naturels pour étonner universellement.
Chaque lueur dévoilée inaugure une liberté joyeuse : savoir les repérer, une sorte de tranquillité bleu pâle, un ciel de mai. Cette douceur distante que je parviens parfois à saisir au vol comble le manque, ce vide qui croît autour d’une génération exécutée dans la nuit du monde par son propre somnambulisme.
Le bonheur existe à condition d’en faire une idée neuve, de ne pas vouloir être tranquille d’avance. Pour qu’il naisse, il faut que la fiction s’achève. Non sans convulsions. La vérité n’est pas triste. Les complaisances affectives, pour m’y être noyé, je les trouve sordide désormais. Cyclothymie, dépression, narcissisme purulent sont à l’image d’un monde dominé par les lumineuses unités au firmament des marchés financiers. L’état zéro-un du monde. SOYEZ REALISTES NE DEMANDEZ PLUS RIEN. L’impératif numérique des crises, des croissances qui définit le moindre souffle des milliards d’habitants de la planète. A trop perdre le jeu, on devient comme ce qu’on voulait éviter.
J’en suis aux expériences provisoires, aux incertains espoirs, à une confiance inquiète. Mes armes sont à la fois ridicules et merveilleuses parce qu’à l’abris de cette espèce de sommeil désespéré qui s’est abattu sur la France. Entre le monde et les êtres : la léthargie, des détours innombrables, une distance qui se creuse pendant que la désinformation vous persuade du contraire.
L’expérience poétique contre le monde qui va.
Trouver, ce serait tourner, aller autour, chercher un milieu introuvable ; on se demande de quelle histoire on fait partie parce que peu à peu, on sent la porte se refermer derrière soi et absorber la lumière. Les choses prennent souvent leur sens quand elles finissent et de cette communication entre ceux qui se sont reconnus comme les possesseurs d’un présent singulier, qui ont éprouvé la richesse des événements et le lieu où ils demeuraient – leur époque – naît le langage de la poésie. Je porte les traces de tous ces mots insoumis sur mon corps et d’une certaine façon, c’est de là que part la possibilité d’empêcher la dislocation définitive de toute expérience poétique possible, programme politique phantasmé du pouvoir.
Trouver son milieu donc, là où les forces sont les plus actives, les plus efficientes, là où vous pouvez porter les coups les plus précieux, les plus beaux, les plus dévastateurs pour le système existant. Parce que résister, être subversif, c’est appeler vers soi ce qui est bon pour soi. Rien d’autre. C’est le plus beau des courages de vouloir être heureux. C’est le plus difficile aussi. Il faut vouloir éprouver le monde et aller au-devant de lui, que le jour s’ajoute au jour pour devenir léger. Souffrir est une faiblesse, lorsqu’on peut s’en empêcher et faire quelque chose de mieux. L’esprit saint est la conscience prophétique de l’harmonie, et par conséquent sa poursuite incessante.
C’est un autre regard sur le monde, voir ce qu’on ne voyait pas avant, jusqu’aux fleurs, aux oiseaux, à la beauté, à l’amour. C’est une conquête du hasard, la multiplication dans tous les domaines de la vie des pratiques expérimentales. L’abandon des buts au profit d’une conscience de l’orientation permanente. La voie du milieu est là.
L’enjeu de l’aventure consiste à surmonter l’angoisse devant la possibilité de sa propre existence directement vécue. Il s’agit de retrouver la force par-delà son ralentissement fatal pour conjurer le purgatoire quotidien ; après la folie de la rencontre : un détachement à retrouver, un équilibre à reconstruire, bref un ré-enchantement.
Une zone de langage possible non traversé par l’imposture dominante.
L’enchantement consiste à surmonter le langage de la terreur. Ceux qui veulent mourir n’ont qu’à appuyer sur le bouton. Beaucoup n’ont plus besoin d’appuyer. On le fait à leur place. Nous en sommes là. A appuyer ou non sur un bouton… A résister dans la solitude la plus extrême… ceux qui veulent devenir vivants… qui sentent qu’ils possèdent un corps… un esprit dans un corps… un esprit relevant leur corps… le luxe suprême… la poésie… une rencontre… un parfum… une femme qui jouit… le vent du nord… une musique dans la tête… une courbure de hanche… une larme versée… quelques mots échangés… la possibilité d’une amitié à plusieurs… quelque chose de fragile, d’obstiné, d’inhumain presque, qui dit merde à la mort… et la lumière dehors… blanche, claire, limpide… l’abandon dans la lumière… traçant ma propre ligne de solitude… à l’écart de l’infamie… ce rêve de violence au cœur de chacun, qui prépare l’effroyable à venir… mais son sexe… mais son odeur qui vaut la peine de vivre plusieurs révolutions… heureux de nous échapper… dans le silence des lois… à la lisière des mondes… dans le viol de toutes les frontières… ENERGY hurlait Tricky en 1998 ENERGY… THIS MOVIE DOESN’T MOVE ME… Et je me serre contre son dos, je passe ma main sur ses seins, je m’enfouis entre ses cuisses, dans la chaleur accueillante, humide, serrée… ENERGY… lucidité… coupure avec la scène… solitude… récifs… étoiles… et mes yeux qui se multiplient… dans le lieu… dans la formule… dans l’éblouissement…