Le passage du Nord-Ouest


La route, qui n'a guère que six mètres de largeur, est comblée tout du long, à droite, par une chute de neige de près de deux mètres de hauteur, qui, à chaque instant, allonge sur la route une barre d'un mètre de haut qu'il faut fendre sous une atroce tourmente de grésil. Voici! plus une ombre dessus, dessous ni autour, quoique nous soyons entourés d'objets énormes; plus de route, de précipice, de gorge, ni de ciel : rien que du blanc à songer, à toucher, à voir ou ne pas voir, car impossible de lever les yeux de l'embêtement blanc qu'on croit être le milieu du sentier, impossible de lever le nez à une bise aussi carabinante, les cils et la moustache en stalactites, l'oreille déchirée, le cou gonflé. Sans l'ombre qu'on est soi-même et sans les poteaux du télégraphe, qui suivent la route supposée, on serait aussi embarrassé qu'un pierrot dans un four.
A.Rimbaud_Lettre à sa famille du dim. 17 nov. 1878, Gênes.