ELISE VERTIGE EGITREV ESILE
Et pourtant je vis, j'ai découvert même que je tenais à la vie. Plus je me suis trouvé parfois des raisons d'en finir avec elle, plus je me suis surpris à admirer cette lame quelconque de parquet : c'était vraiment comme de la soie, de la soie qui eût été belle comme l'eau.
Il m'importe peu d'avoir raison. Je cherche le concret. C'est pourquoi je parle. Je n'admets pas qu'on discute les conditions de la parole, ou celles de l'expression. Le concret n'a d'autre expression que la poésie. Je n'admets pas qu'on discute les conditions de la poésie.
Et si la vie, comme à tout autre, m'a infligé quelques déboires, pour moi l'essentiel est que je n'ai pas transigé avec les trois causes que j'avais embrassées au départ et qui sont le poésie, l'amour et la liberté. Cela supposait le maintien d'un certain état de grâce. Ces trois causes ne m'ont apporté aucune déconvenue. Mon seul orgueil serait de n'en avoir pas démérité.
Il m'importe peu d'avoir raison. Je cherche le concret. C'est pourquoi je parle. Je n'admets pas qu'on discute les conditions de la parole, ou celles de l'expression. Le concret n'a d'autre expression que la poésie. Je n'admets pas qu'on discute les conditions de la poésie.
Et si la vie, comme à tout autre, m'a infligé quelques déboires, pour moi l'essentiel est que je n'ai pas transigé avec les trois causes que j'avais embrassées au départ et qui sont le poésie, l'amour et la liberté. Cela supposait le maintien d'un certain état de grâce. Ces trois causes ne m'ont apporté aucune déconvenue. Mon seul orgueil serait de n'en avoir pas démérité.
Maintenant, peut-être. Il s'agit de devenir le silence suivant immédiatement le bruit du corps qui vient de s'écraser en tombant, un choc mat et bref, aplati. D'être encore ici après être tombé, ou de tomber en demeurant ici. Ici, mot vertical, signe d'un corps dressé. Je serre la barre d'appui. Vertige, plaisir, comme si l'air entier montait par l'intérieur de la tête, tandis que les talons, les chevilles, la plante des pieds commencent, semble-t-il, à brûler. Fermer les yeux. Monde solide, corps incroyablement léger qui flotte en lui-même, paraît descendre, planer, couler loin en lui-même, fondre et sortir par le dedans, s'illimiter sur place... Dérive immobile, fortement secouée maintenant, impossible à maîtriser de l'autre côté d'une cloison invisible, intouchable ; grande cloison de lumière qui s'approche et s'éloigne, contenant à peine une vibration, un flux incessants... Encore un instant, elle va céder, elle va disparaître : "Je suis sûre qu'on pourrait s'en aller en se laissant aller, en s'abandonnant. Ne plus bouger, ni respirer ; commander cette pente imperceptible ; laisser faire, glisser... Mais on se ressaisit toujours trop tôt."
Nous n'en finirons pas de sitôt avec le vrai complot diabolique dans le monde du XXe siècle dont tous les autres complots dépendent qui a installé le chiffre dans la position de trône du globe où les hommes ont progressivement assis toute la vérité, c'est-à-dire le mensonge le plus pur, le plus atroce aussi. Calculs, statistiques et mesures, tout y concourt, le monde est prosterné au pied d'un chiffre, formant vœu de s'y confondre, prenant parti de s'aligner dans une suite de nombres. La guerre et la paix, la faim et la sexualité, le silence et la foule ne sont plus affaires de mots et de volonté, de regards et d'écoutes, que surdéterminés par des forêts de chiffres qui viennent en procession à l'oreille du souverain lui dire un jour que la guerre est bonne, le lendemain que l'Afrique doit mourir. Mais c'est à chacun aussi, en secret, que le chiffre vient imposer sa loi et donner ses ordres, issus du grand chiffre de l'univers auquel l'univers a décidé de ressembler jusqu'à n'être qu'un chiffre qui prend chaque jour davantage puissance de dissoudre ou éliminer ce qu'il n'est pas. Que celui-là à côté de moi soit marginal, l'hôpital psychiatrique saura lui donner sa mesure, les œuvres sa ration, la mort son mètre carré. Dans cet édifice du chiffre qui écrase le monde en livrant les humains à la souffrance et à la mort, il y a une date sacrée, celle des martyrs dont le corps a été le lieu d'expérimentation de l'inscription d'une comptabilité forcenée. À cet instant, c'est vers eux qui n'ont plus de nom que je me tourne, eux, morts dans un chiffre, après avoir souffert dans un chiffre, à la limite de cette souffrance qui n'a d'issue que dans la mort qui elle-même était un chiffre, un chiffre monstrueux.
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