Elle s'occupe d'une boutique de mode dans le 8e arrondissement de Paris. Rien de plus loin de moi, choix parfait. Elle a donc un bon poste d'observation sur les coinçages des bonnes femmes de la bourgeoisie locale. J'aurais pu prendre une ophtalmo ou une gyneco. Pas trouvé une assez drôle. Viens, Ludi, retrouve ton philosophe dans ce café tranquille, au fond de Paris. Dis-moi tout, raconte. Leurs angoisses, leurs doutes, leur folie narcissique, leur mégalomanie, leur mépris, leurs fautes de goûts, leur aveuglement sur elles-mêmes, l'argent, et encore l'argent, et toujours l'argent, les types accablés, morts d'ennui, les faux sourires, les politesses visqueuses, la bonne humeur de commande, toute l'usine bavarde des apparences, c'est-à-dire le vrai front de guerre, pétrôle, tissus, came, robes, bombes, pantalons, vestes, chemisiers, tailleurs, attentats, crèmes, parfums, rouges à lèvres, fonds de teint, cagoules, kalachnikovs, avions suicides, bijoux, et le reste.
P.Sollers_Une vie divine